Romans


Laurent Mauvignier

Apprendre à finir

Prix Wepler 2000
Prix du Livre Inter 2001


2000
128 pages
ISBN : 9782707317216
10.05 €
35 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche  double  n°27


Il avait dit : ici, je n’en peux plus. Avec toi je ne peux plus. Alors après son accident, les semaines dans la chambre blanche, son retour à la maison pour la convalescence, ça a été comme une nouvelle chance pour elle, pour eux. Elle a repris confiance et elle s’est dit, je serai celle qui donnera tout, des fleurs, mon temps, tout. Pour que tout puisse recommencer.

ISBN
PDF : 9782707324955
ePub : 9782707324948

Prix : 6.49 €

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Patrick Kéchichian (Le Monde, 22 septembre 2000)

Le monologue de la fin
Par la voix directe et nue de sa narratrice, Laurent Mauvignier décrit de l'intérieur le processus de désagrégation d'un couple
 
 Le titre du deuxième roman de Laurent Mauvignier dit le contraire de ce que contient le livre. On n'apprend pas à finir une relation amoureuse, une vie commune. Aucune leçon ne prépare à cette issue. On n'apprend rien. On ne sait rien. Et cependant, les couples se déchirent, se brisent, piétinant ce “ nous ” qui les fondaient. Alors, il faut vivre avec ce déchirement – dans l'ignorance. Mais en même temps, on veut encore et toujours comprendre, encore et toujours s'expliquer à soi-même, expliquer à l'autre ; on voudrait distribuer les responsabilités, lester l'affectivité d'un peu de raison. Mais ce n'est pas possible. C'est pour cela que le non-savoir est habité par les mots, qui ne sont que le ressassement de la douleur.
Rarement un écrivain aura donné une voix aussi forte à ce déchirement et à cette douleur qu'aucune raison n'allège ni console. Une voix directe et nue, elle-même déchirée, qui ne cherche pas à prendre le relais de la réflexion, qui n'explique rien, qui se contente de pâtir. “ …On ne sait pas ce que ça a de force, tout ce qui fait mal. ” L'auteur a choisi, pour ses personnages, une identité sociale qui n'autorise, a priori, aucune échappatoire. Il est éboueur ; elle fait des ménages. Comme si rien ne devait venir atténuer ou dissimuler la nudité de la parole.
Le roman de Laurent Mauvignier est entièrement constitué par le monologue intérieur d'une femme. Il commence au moment où l'échec de sa vie de couple est patent. Mais la chronologie balbutie. Les événements ne s'inscrivent dans aucune suite logique : ils viennent simplement se ranger en vue de cette fin, comme fascinés par elle, attirés par cela même qui fait peur. Ce qu'on croyait solide, bien calé dans les minuscules circonstances de la vie ordinaire, se révèle rétrospectivement friable : “ C'était si fragile tout ça. Et non comme je croyais, discret, avec cette simple discrétion de notre vie, de tous les jours qu'on partageait sans rien attendre en retour que de voir un lendemain, un lendemain pour répéter encore ce jour et que ça dure comme ça, puisque ça paraissait si simple à maintenir. ”
Au début du livre, la femme prépare la maison pour son mari qui rentre de l'hôpital après un grave accident d'automobile. II va être immobilisé là, au foyer, durant de longs mois. Les deux plus jeunes enfants – l'aînée a déjà quitté le domicile familial –, se regroupent dans une chambre afin de libérer l'autre pour leur père. Prendre soin de lui, l'aider à remarcher, c'est aussi accélérer la séparation annoncée avant l'accident. À l'intérieur du processus de désagrégation du couple, cet épisode de la. convalescence, qui est celui de la temporalité de la narration, constitue moins un répit qu'un révélateur : “ C'était seulement de ça que nous vivions. Tous les deux pendant des semaines nous nous sommes retrouvés devant ça, son corps qui reprenait force et vie. (...) Et c'était seulement de ça que nous vivions. De ces quelques pas accomplis d'un jour à l'autre que nous pouvions parler, et même, c'était par ça que nous vivions ça, ces victoires qui déterminaient nos humeurs, nos sourires. ”
“ Je me disais : nous allons réapprendre. Nous allons refaire les gestes de ceux qui apprennent, de ceux qui commencent. Nous allons faire ça, nous, à rebours, retourner vers le début... ”
Jamais, Mauvignier ne s'accorde la facilité d'abriter son personnage derrière des motifs objectivables, “ romanesques ”. Les scènes de ménage que la femme se remémore, l'infidélité du mari, ne sont pas des causes mais les signes d'une détresse que l'on n'a pas vu progresser. On dirait que la lente décomposition du tissu amoureux est moins due aux circonstances extérieures qu'à sa fragilité de nature. La psychologie de la narratrice – l'autre, le mari, ne pensant et n'agissant qu'au travers du discours de l'épouse – ne constitue pas l'axe du récit. Celui-ci, dans son entier, tient dans la voix de la femme, dans cette parole qui tourne autour d'un unique nœud de douleur.
La grande force, l'art de l'auteur – déjà amplement manifestés dans son premier roman (Loin d'eux, Éditions de Minuit, 1999) –, sont dans cette radicalité, ce refus du psychologisme et des ficelles réalistes. Par son monologue, Laurent Mauvignier nous fait entrer véritablement dans la tête et dans le cœur souffrant de son héroïne. “ On ne sait pas avec qui on vit. ” La longue plainte qu'elle fait entendre est tout entière fidèle à cette ignorance dont nous parlions. Le romancier ne la trahit pas, ne joue pas au plus malin. Fidélité qui donne à son roman un accent bouleversant. 

Jean-Pierre Tison (Lire, septembre 2000)

Les désillusions d'une femme trompée
 
 Si un ménage est souvent une entreprise de démolition, un roman est toujours une entreprise de récupération. Les décombres matrimoniaux sont en général assez vastes pour favoriser l'ouverture de chantiers très variés : celui de Laurent Mauvignier a pour titre Apprendre à finir. Révélé l'an passé par Loin d'eux, ce jeune romancier nous offre cette fois le monologue intérieur d'une femme trompée. Le jour où, à la suite d'un grave accident de voiture, son éboueur de mari se retrouve en petits morceaux, elle se dit, cette femme, que, le temps de recoller les morceaux, elle réussira peut-être à reconstruire l'ancien bonheur conjugal. À l'hôpital, et puis à la maison, son dévouement, sa douceur, sont censés prouver la constance et la force de son amour. Mais au fur et à mesure que l'état de l'accidenté s'améliore, qu'il recouvre sa validité, elle redoute qu'il s'éloigne encore pour aller retrouver “ l'autre ”. Cette autre chez laquelle il partait, sur un coup de colère, quand il a eu son accident. “ Comme si moi j'avais provoqué l'embardée, comme si j'avais sur la route jeté les litres d'huile. ” Elle se rappelle ces moments où la taraudait “ l'envie de tuer, de le tuer, lui, l'envie de me tuer aussi, de tuer ses enfants ”. Elle veut qu'il lui revienne, qu'il n'aille plus chez “ elle ”, chez cette autre femme qu'elle finit par voir, fortuitement.
Beaucoup de jaloux rêvent qu'on leur ramène à la maison un conjoint qui aura besoin de leurs soins. Avec le risque d'éprouver aussi, bientôt, l'immense douleur de le “ savoir guéri maintenant ”, c'est-à-dire capable de les tromper encore. Le thème n'est pas neuf mais Laurent Mauvignier l'interprète avec une intensité exceptionnelle. Et il montre à quel point, au fond d'elle-même, au tréfonds, elle l'aime comme au premier jour, ce mari. Elle sait qu'il a beaucoup souffert, en perdant sa mère à six ans et en se trouvant en proie à d'indicibles peurs pendant la guerre d'Algérie.
Devant le mystère de ces peurs, devant l'effroi et la terreur qui ont si profondément marqué l'infidèle, elle se tait. Tout est perdu. Tout est fini. Pour tout le monde. Reste cet amour-là. Ce respect pour ce qui lui échappe. Qui la dépasse. Et qui a brisé leur bonheur. 

Michèle Gazier (Télérama, 13 septembre, 2000)

La mort dans l'âme
 
 Dire, écrire la souffrance dans le creux des mots ordinaires. Tel est le propos des deux romans pudiques et bouleversants de Pascale Kramer et de Laurent Mauvignier, jeunes écrivains magnifiquement en marge des modes littéraires exhibitionnistes (...)
La séparation d'avec celui qu'on aime et qui ne vous aime plus est une autre forme de deuil, à la fois plus douce – l'être aimé est vivant – et plus cruelle – il est là, mais il appartient à une autre. Ainsi, la narratrice d'Apprendre à finir, deuxième roman de Laurent Mauvignier, à qui l'on doit l'inoubliable Loin d'eux, est déchirée par le désamour de son mari qui aime ailleurs. Par hasard (par chance ?), il a eu un accident qui le condamne à rester de longues semaines couché. Elle le “ récupère ” pour ce temps bref de la convalescence, se dit que peut-être elle saura le ramener vers elle. Mais peu à peu, dans le silence de leur couple, dans les non-dits de leur quotidien, s'insinue à nouveau la gangrène de la séparation. Il n'y a plus rien à faire, plus rien à dire. L'amour est mort. Restent la relation familiale, les enfants, les problèmes matériels (...) Mais, quand l'espoir n'est plus, ne subsistent que la rancœur, la haine (...)
Laurent Mauvignier fait admirablement parler les silences, sentir les hésitations, les doutes, la peur de la solitude, l'obsession du malheur. On la voit, cette femme dans son manteau râpé d'un marron défraîchi, le cheveu mou, le visage ravagé d'angoisse, cherchant à deviner sur les traits apaisés d'un époux qui va de mieux en mieux le reflet d'un bonheur dont elle sera bientôt exclue. Un bonheur dont elle s'exclut elle-même, car il faut en finir. Mais apprend-on jamais à finir ? 

Jean-Baptiste Harang (Libération, 21 septembre 2000)

 Malgré le titre, Apprendre à finir, personne ne meurt dans le deuxième roman de Laurent Mauvignier : “ J'ai fait des progrès, dit-il, dans Loin d'eux, c'était l'hécatombe ”. Laurent Mauvignier est né à Tours en 1967, il y a passé presque toute sa vie, sauf quatre années à Paris, et Bordeaux, maintenant, depuis un an. II vient de s'y marier. C'est à peu près tout ce qu'il dit de lui, il ne veut rien cacher, au contraire, toute sa douleur est dans ses livres, l'impudeur est dans ses livres, aussi préfère-t-il ne pas se livrer. Il se livre un peu pourtant, malgré lui, pour se délivrer. Il dit qu'il a commencé à écrire à huit ans, qu'il a définitivement arrêté à seize, qu'il a gagné le plus gros de sa vie en faisant le pion pendant huit ou neuf ans, que ça n'a guère d'intérêt. À huit ans il a passé plusieurs séjours de plusieurs semaines à l'hôpital, il dit qu'il a risqué sa vie, que sans ces ennuis de santé il aurait sans hésiter consacré sa vie au sport, il ne dit pas quels ennuis : “ À l'hôpital, on vous offre des livres et des cahiers, j'ai dévoré les livres, j'ai rempli les cahiers. Chez nous, il n'y avait aucun livre, on regardait le télévision. Sans livre, on est obligé d'avoir de grands yeux, de grandes oreilles. ”
Laurent Mauvignier écrit sans désemparer, dès l'âge de douze ans il torche des romans de plus de cent cinquante pages, “ aussitôt finis, aussitôt relus, aussitôt jetés. Je n'ai rien gardé, je n'ai pas de regret, je ne saurais pas où les mettre, ça m'amuserait peut-être de les relire mais ça n'a aucune importance. Je ne crois pas à toute ces histoires de vocation, c'est une folie, une folle présomption d'ajouter des livres aux livres.
À seize ans, j'ai arrêté définitivement d'écrire, un événement dramatique, violent, m'a montré ce que c'était vraiment qu'écrire, que c'était trop fort pour moi, que j'allais dans un mur. J'ai tout fait pour m'en détourner, écrire c'est courir après quelque chose qui se dérobe tout le temps, j'avais fait une année de comptabilité après la troisième, je me suis inscrit aux Beaux-Arts, pour apprendre à ne pas écrire, pour m'en défier J'ai passé des années à manquer le Capes d'Arts plastiques. J'ai tenu comme ça jusqu'à l'âge de trente ans, jusqu'au chômage de pion. J'ai même essayé la psychanalyse, je m'appliquais à dire tous les détails, à la troisième séance le psy m'a dit :  Vous vous arrangez avec le hasard, vous en faites des fictions , j'ai arrêté, mieux valait en faire des fictions.
Je n'ai jamais envisagé d'avoir un métier, l'évidence c'est que depuis tout petit je me mets à mon bureau, j'ai le même bureau depuis l'âge de huit ans, au début, il était un peu grand, maintenant ça va. Je me mets à mon bureau et je suis là, face au mur. Et voilà, en 1997, face au mur et au chômage, je décide d'aller jusqu'au bout, j'écris comme une brute, sans limite, d'autant moins de limite que je ne pensais pas publier. J'ai écrit trois livres coup sur coup, dans l'élan, les deux premiers ne valaient rien, le troisième
est devenu Loin d'eux, un matin, j'ai écrit trois pages et j'ai senti un basculement, une tension, une adéquation entre la forme et ce qui se disait. Les phrases pouvaient s'assumer seules, le texte avait par lui-même quelque chose à raconter. Je l'ai fini dans une extrême fébrilité, jour et nuit. Je l'ai envoyé aux Éditions de Minuit, je n'ai même pas pensé à l'envoyer ailleurs, quarante-huit heures plus tard Irène Lindon me répondait favorablement. J'ai ressenti du soulagement, je revenais de loin, je jouais ma peau. En même temps, c'est difficile de répondre sincèrement, honnêtement à la question de savoir pourquoi on veut être publié. Pas que de bonnes raisons. Je sais seulement qu'on n'écrit pas pour des lecteurs pas plus qu'on n'écrit pour soi, on écrit, c'est tout, c'est la seule chose qui m'excite vraiment, on est pris dedans. Il y a une vraie jouissance à affronter la violence que j'ai connue, que j'ai subie, qui m'a vaincu. ” Laurent Mauvignier ne dit pas quelle fut cette violence, les dix mille lecteurs de Loin d'eux (Éditions de Minuit, 1999) en ont reçu l'écho en plein cœur. (…)

Norbert Czarny (La Quinzaine Littéraire, 15 septembre 2000)


Une voix singulière et universelle
 
 La langue de Mauvignier n'a rien de naturaliste ou de simplement “ réaliste ”. Sa narratrice héroïne ne parle pas comme certains croient qu'on doit parler aujourd'hui. C'est au contraire une langue travaillée, d'une grande précision, d'une dignité qui place cette femme modeste au rang des héroïnes raciniennes. Jusque dans son rythme qui s'accélère dans la réalité prend corps, quand les dernières illusions d'une vie recommencée s'effondrent. 

Nelly Kaprièlian (Les Inrockuptibles, 9 septembre 2000)

Lâcher prise
 
 La force de Mauvignier : faire tenir dans un même monologue, via une même voix, le projet et l’intuition (douloureuse) de son impossibilité, une foi désespérée et le prosaïsme brutal du réel, le mensonge qu’on se fait et la conscience qu’on en a. (…)
Il y a, comme ça, des pages à couper le souffle. Et des phrases d'autant plus envoûtantes qu'elles ont beau être longues, elles portent en elles le rythme de la coupure, brèches de la virgule mais aussi reprises de souffle par celui qui s'emporte. Coupures et emportements d'un monologue schizophrène – et c'est là une réussite : restituer toute la schizophrénie qu'implique la douleur, qu'implique toute rupture, quand on veut encore ce que l'autre ne peut plus – en vrais symptômes d'un deuil rétrospectif. Amour et haine, espoirs et doutes, culpabilité. 

Marie-Laure Delorme (Journal du Dimanche, 27 août 2000)


Rééducation du corps et du cœur
 
 Laurent Mauvignier travaille une langue à la fois coulée et brusque. Car la violence, à force d'être partout – dans les mots, les pensées, les gestes, les sentiments –, se fluidifie jusqu'à devenir transparente. Apprendre à finir possède une véritable puissance poétique. Une sorte de beauté nocturne. L'émotion dégagée est si pure qu'elle semble ne pouvoir s'absorber que diluée dans le bruit du monde. 

Jérôme Garcin (Le Nouvel Observateur, 28 septembre 2000)

Un homme et une femme
 
 Où Laurent Mauvignier trouve-t-il donc ces mots qui viennent de si profond qu’on a l’impression qu’ils ont été arrachés aux entrailles ?… Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un écrivain si dérangeant, si différent des autres. 

 




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