Romans


Alain Robbe-Grillet

Angélique ou L'enchantement


1988
256 pages
ISBN : 9782707311597
12.85 €
99 exemplaires numérotés sur Chiffon de Lana


Ce second volume des Romanesques de Robbe-Grillet fait, dans une certaine mesure, suite au Miroir qui revient. L'auteur y poursuit, en effet, sa recherche aventureuse à travers les souvenirs de son enfance et de son adolescence qui ont laissé des traces, transformées, imbriquées, récurrentes, dans l'œuvre de l'écrivain ou du cinéaste. Mais, cette fois, ce sont surtout les imaginations érotiques du petit garçon qui occupent le devant de la scène, en même temps que les réflexions de l'adulte sur le rôle joué par le sadisme et le crime sexuel dans la fantasmatique masculine. Cependant, la “ jolie fille ” y apparaît bientôt comme le contraire même d'une simple victime, brillant soudain de tout l'éclat d'un piège éblouissant : le charme mortel de la sorcière. Ainsi la Grande Guerre quitte son visage de boue pour se dérouler à présent dans une sorte de forêt enchantée, où dragons français et uhlans prussiens sont aux prises avec des fées-fleurs aux troublants sortilèges, dont on est en droit de se demander si elles ne sont pas tout autre chose que des jeunes espionnes suscitées par l'ennemi.

Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde, 5 février 1988)

Robbe et Grillet
 
 Il y a deux Robbe-Grillet. Mettons qu'il y a Robbe, et puis Grillet. Robbe a écrit une douzaine de romans, dont Les Gommes, Le Voyeur, La Jalousie, Dans le labyrinthe... Ces romans ont été qualifiés de “ nouveaux ”, ou d'“ objectaux ”, parce que les objets inanimés y avaient enfin une âme, celle, jugée caduque, du personnage à l'ancienne mode. Robbe a également tourné cinq, six films aux intrigues dures à suivre, avec des jeunes femmes enchaînées à des barreaux de lit, je résume.
Grillet, lui, regardait œuvrer l'artiste du coin de l'œil, en riant sous barbe. Bouquins et films de Robbe dans sa valise, il s'est fait leur théoricien et leur commis voyageur auprès des universités du monde entier, américaines notamment.
Voici réunis le romancier Robbe et l'essayiste-conférencier Grillet, pour la deuxième fois. Angélique ou l'enchantement fait suite à l'espèce d'autobiographie imaginaire et réflexive inaugurée par Le Miroir qui revient (1985), et que devrait clore un jour, annoncée “ à paraître ”, La Mort de Corinthe.
Le mot “ autobiographie ” s'applique mal. Ce n'est pas le genre de Robbe, ni celui de Grillet, de raconter à plat leurs chutes de vélo et les bibis de tantine. Il s'agit d'évoquer les fantasmes et les concepts dont l'œuvre est sortie, de les “ monter ”, tel un film.
Parmi les fantasmes, dont les rapports avec le vécu n'ont guère d'importance, revient l'énigmatique Henri de Corinthe, moitié camarade de guerre du père de l'auteur, moitié figure de légende bretonne et germanique. Robbe n'a de cesse de brouiller les pistes biographiques aussitôt qu'ouvertes. Corinthe a-t-il assisté au séminaire de Kojève sur Hegel, rue d'Ulm, en compagnie de Bataille, Breton, Sartre et Lacan, avant-guerre ? Qu'en est-il de son manuscrit, soigneusement égaré, sur une critique libertaire du socialisme en art ? Comment croire qu'il sauva le père en l'évacuant du front sur son cheval ?
Cette histoire de mort frôlée, on dirait moins un récit de guerre qu'un vieux conte du Finistère. Le blessé voit venir un homme portant une faux aiguisée des deux côtés. Un tombereau fantôme hante le champ de bataille. On le reverra passer souvent dans le livre, dont il est peut-être le principal acteur. Ses moyeux craquent, ses roues cerclées grincent. C'est un de ces charrois hauts sur pattes comme en utilisaient, à basse mer, les goémoniers d'autrefois. On y verrait bien, juchée, une jeune fille aux linges trop fins pour voiler les aréoles rose brun et quelque filet de sang...
Nous y voilà ! De la jeune fille translucide style David Hamilton et portant les marques fraîches de sévices inexpliqués : ce pourrait être le blason intime de Robbe. Grillet ne l'ignore pas. Il est le premier à nous rappeler les livres et films où nous avons déjà vu la scène.
Cette fois, il va plus loin. Il nous explique d'où leur sont venus, à tous deux, ces fantasmes gentiment sadiques. D'un mélange, comme souvent : des gravures datant du lycée et représentant des supplices turcs au dix-septième siècle, un manuel d'histoire où la reine Brunehaut était traînée par des chevaux, un Boccace illustré, des photos d'atrocités prêtées aux républicains espagnols, des clichés de filles nues dans le camp naturiste allemand où enseignait la mère de l'auteur, des scènes dont Corinthe aurait été témoin, naguère, en Uruguay... Car le noble Corinthe n'est pas seulement un hobereau breton rompu à recevoir des signes codés de l'au-delà ; c'est un beau capitaine capable d'emporter sur sa selle des jeunes femmes blêmes et ensanglantées.
C’est lui qui tient le rôle-clé dans la scène-fantasme qui fournit le titre sadien du livre, et qui aurait donné le branle, c'est le mot à toutes les scènes similaires dont l'œuvre s'ornera. Pendant l'Occupation, Corinthe emmène à l'Opéra de Paris, pour voir un ballet de Lifar, une certaine Angelica von Salomon, nièce mineure d'un noble officier uhlan de ses relations. Malgré ses origines juives – elle n'a rien à voir avec Ernst, l'auteur des Réprouvés, – la jeune fille est auxiliaire de la Wehrmacht, “ souris grise ” comme on disait. À l'entracte, Robbe et Grillet, de la galerie, ont vu Angelica s'évanouir dans des bruits de verre cassé, un pied de coupe de champagne à la main, tandis que glissait sa chaussure à talon pointu et pailleté de bleu. Ces bris de verre et ce soulier reviendront avec la même insistance emblématique que le lourd tombereau à roues cerclées de fer...
Vision imaginaire ou “ gravée ” dans la mémoire ? Les deux, est-il dit, sans que la preuve avancée – Bataille, de son vivant, aurait été fait témoin de l'anecdote – constitue la moindre garantie. Que les accessoires reparaissent comme un leitmotiv dans livres et films ne prouve rien non plus, sinon les entêtements de l'imaginaire sensuel.
L’Angelica de l'Opéra mourra sur le front de Normandie, peut-être déguisée en soldat. Mais une autre fillette du même nom, celle du Voyeur, a, elle aussi, “ existé ” auparavant. C'était la fille du château voisin des Robbe-Grillet, près de Brest. Elle aimait jouer à la martyre chrétienne avec les ustensiles d'une grange. Elle accusait le petit Alain de l'avoir déflorée, et le menaçait d'impuissance. Elle s'est jetée d'une falaise, d'où l'a remontée, devinez ? l'éternel tombereau de légende...
Grillet entend déjà la double exclamation parfaitement contradictoire qui salue ordinairement les fantasmes, maintenant bien connus, de Robbe : “ Pouh, quelle banalité ! ” et “ Fichtre, quelle complication ! ” Et d'épiloguer, d'argumenter en réplique. Robbe n'est pas le seul écrivain doué d'obsessions : a-t-on oublié le goût de Dostoïevski pour les viols de petites filles, ou celui de Michelet pour les tortures de sorcières ?
Un mot de prophylaxie sociale : de publier des simulacres de violence présente-t-il des dangers, comme le redoutent les censeurs ? Allons donc ! Les détraqués qui commettent des crimes sexuels ne sont pas ceux qui lisent ou regardent des œuvres d'art, mais les autres, les puritains incultes et scandalisés. Quand Sade a siégé dans un tribunal révolutionnaire, il s'est montré si clément qu'on l'a vite renvoyé à ses sanguinaires écrits !
Malgré ces évidences, les précédents affligeants et la permissivité laissée aux autres “ supports ”, notre époque s'offre encore le ridicule de poursuivre livres et films. Grillet rappelle comment des critiques augustes ont promis Le Voyeur à la correctionnelle et comment un tribunal de Venise a condamné au feu Glissements progressifs, dans une confusion de commedia dell'arte. Les divers attendus de ces procès aboutissent à n'admettre les scènes “ osées ” que “ justifiées ” par le cours d'une narration traditionnelle (celle à laquelle le cinéaste de L’Immortelle reproche à Truffaut d'être resté trop docile), donc à refuser le droit au non-récit. Intéressant, non, comme lapsus idéologique ?
Autre sujet d'étonnement pour Grillet : l'hostilité que les féministes ont montrée à Robbe, pour crime d'exaltation de la femme-objet, maltraitée et heureuse de l'être. Comme si Sade n'avait pas libéré, avec ses jeux d'entraves, plus qu'enchaîné ! Comme si les fantasmes ne devaient pas s'épanouir en s'affrontant ! Les supplices ne sont-ils pas l'exacerbation amoureuse des caresses, ressenties comme de trop pâles hommages à la beauté ? Et notre machiste présumé d'invoquer subsidiairement (inutilement ? ) la place offerte à Duras et à Nathalie Sarraute dans l'équipe du nouveau roman !
Au cours de ses randonnées comme visiting professor, Grillet a fait provision de commentaires et de justifications. Il nous met dans la confidence technique du travail de Robbe, il nous introduit dans le présent de son écriture. Nous savons que tel passage a été commencé en Normandie sous la neige, et poursuivi en Californie, et devant quel paysage ou ameublement précis. Nous apprenons que ni Robbe ni Grillet ne parlent anglais, depuis le temps, et qu'à New-York, ils s'en remettent à Tom Bishop comme à un papa...
Nous nous en doutions, mais Angélique le vérifie : c'est peu dire que le théoricien voyageur a donné de l'assurance à l'artiste. Contrairement à Barthes et à tant d'écrivains (ça paraît se tasser, et l'inverse menace !), l'auteur du Voyeur s'est fait à l'idée d'avoir un visage et une voix. Il les connaît par cœur, il en joue.
Cette maîtrise de Grillet sur sa propre image et sa propre glose ne vise pas, malgré les apparences, à asseoir ni à imposer une signification univoque de la vie et de l'œuvre de Robbe. Contrairement à la thèse de Philippe Lejeune, Angélique entend prouver que l'autobiographie ne répond pas à une quête d'unité profonde. Un des postulats du nouveau roman voulait que la compétence du narrateur, y compris quant à soi-même, se fût effondrée avec la cohérence du monde : entre deux exposés rationnels, pour ne pas dire raisonneurs, du causeur Grillet, Robbe l'artiste maintient bien haut son droit de réunir sans lien causal une mosaïque d'instants précaires, des visions brumeuses, bref de “ ménager la contingence inexplicable du vivant ”.
On s'est souvent étonné de cette coexistence, de cette co-habitation, chez Robbe-Grillet, d'un romancier des heurts irrationnels, et d'un théoricien aux dialectiques acérées. En réalité, le second se battait moins pour une vérité durable qu'il ne renvoyait à l'idéologie narrative en place l'envers de ses idées reçues, par jeu, pour confondre les faux raisonnements opposés aux libertés prises par l'artiste.
C'est un régal renouvelé de voir Robbe et Grillet nous démontrer une fois de plus comme l'anecdote a du bon en elle-même ; et comme elle ne rime à rien ! 

Jean-Maurice de Montremy (La Croix, 4 février 1988)


Robbe-Grillet, le désenchanteur
 
 La parution en 1984 du Miroir qui revient avait surpris. Robbe-Grillet, l'homme pour qui le personnage était une “ notion périmée ”, proposait une autobiographie, mise en scène du personnage par excellence : celui qui s'appelle moi. Du coup s'exhumèrent de vieux arguments polémiques des années 1960, donnant plume baissée dans les ratiocinations que suscite toujours la simple apparition de la formule “ nouveau roman ”, comme si tous les auteurs de ces années devaient à jamais être saisis, figés et pétrifiés dans un moment – capital, il est vrai – de leur évolution et de l'évolution du genre romanesque.
Dans Le Miroir qui revient, certes, Alain Robbe-Grillet donnait de larges pans de sa vie, en particulier de son enfance dans une famille extrême, côté droite, battue par tous les vents de la Bretagne et les contradictions de l'élitisme dit bourgeois – plutôt sympathique, d'ailleurs, jusque dans ses ombres tant les adultes y ont l'air d'enfants perdus dans un monde de principes déjà, pour eux, indéchiffrables. Mais ces principes aux allures de totems, presque esthétiques à force de trôner – insolites – dans des vies qui n'en tiennent guère compte en pratique, constituaient dans ce premier récit l'une des ruses de guerre d'Alain Robbe-Grillet. S'agissait-il d'une “ vraie ” autobiographie ou d'un piège à fantasmes ?
Robbe-Grillet, toutefois, ne découvrait pas toutes ses batteries. Le Miroir qui revient n'était que le premier volume d'une trilogie. L'auteur se gardait bien de le dire, réservant à la critique une petite gâterie, puisque nous découvrons maintenant avec Angélique l'existence de ce cycle du moi, baptisé – provocation suprême – du nom de Romanesques. Le dernier volume, “ à paraître un jour ”, nous dit-on, sera La Mort de Corinthe, dernier hommage au superbe Henri de Corinthe. Ce très ambigu et noble aventurier, ancien officier de Dragons de 14-18, occupe, en effet, la même place prépondérante dans Le Miroir qui revient et dans Angélique fleurant tous les parfums de l'ordre noir panachant – c'est le mot – son goût des “ affaires ” du douteux angélisme de Siegfried et de Parsifal.
Si le premier volume des Romanesques court-circuitait les petites dramaturgies sociales et politiques du style Enfance d'un chef, le second volume choisit le registre encore plus délicat du fantasme sexuel. Le comte Henri, cet ami de la famille qu'Alain Robbe-Grillet avoue n'avoir sans doute jamais vu tout en ne cessant d'en rêver, devient ici l'une des figures du divin Marquis de Sade. Le vilain aristocrate qui. passait sa Révolution à torturer sur le papier et dans son cerveau les “ jolies filles ” obsède ainsi notre fin de XXe siècle avec un inquiétant mélange d'hypocrisie, d'écœurement déçu et de délectation.
On trouve donc dans Angélique cet alliage de désir et de mort qui est l'autre versant, sadique, du wagnérisme. Deux types de scènes, toujours amorcées et volontairement non conclues, alternent. Scènes de trompeuse chevalerie avec la pérégrination, en 1914, de Dragons français et de Uhlans germaniques dans une Forêt aux allures de Brocéliande où passent et l'Ankou (la mort faucheuse des Bretons) et l'adolescente Manrica (ensorceleuse à la mode Verdi). Scènes de trompeuses “ jolies filles ”, extraites des gravures académiques du XIXe siècle (ainsi la fameuse Brunehaut des manuels), des imageries de Georges Bataille ou des films d'Alain Robbe-Grillet, lui-même.
Le pari est dangereux. Comme l'écrivait, à propos de Sollers, un facétieux critique du Canard Enchaîné : on passe vite de l'avant-garde à l'arrière-train. Mais Robbe-Grillet, justement, n'est pas Sollers. Il tient du XVIIIe siècle l'art de frustrer les voyeurs. Il n'en rôde pas moins dangereusement, dans certains passages, du côté des filles-fleurs du magicien Klingsor de Parsifal, ces fantasmes cultivés jusqu'à l'étouffement – image sans doute d'un wagnérisme pervers trop poussé en esthétique comme en symbolique. Dans ce monde-miroir où les images tournent en constellation autour du “ moi ” problématique de celui qui écrit, le risque du narcissisme, de l'intelligence trop intelligemment éprise de son propre fonctionnement, peut jouer de mauvais tours. C'est la vieille histoire des compères Faust et Don Juan.
Angélique explore donc, non sans risques ni périls, les pièges de “ l'Enchantement ” – c'est le sous-titre du livre – tout en poursuivant une éducation biographique subtile. Le moi qui écrit ces lignes ne tiendrait-il pas la plume pour le compte d'un autre moi, retranché dans son ombre, ses solipsismes et son désenchantement qui serait l'archétype du “ dernier écrivain ” ? Cet écrivain conclusif, terme d'une littérature qui charme par la chimère de l'Art ou du Texte mais ne tient pas ses promesses, ne serait, selon le narrateur, qu'“ hypertrophie démesurée de l'ego, révélation de soi-même comme figure du seul sur-moi possible, incapacité fondamentale à communiquer avec autrui, désir meurtrier à tous les niveaux ”.
Angélique, sous son brillant et son goût du scandale, est donc un texte désemparé. Et ces textes paradoxaux, rongés par leur propre habileté, valent mieux que les textes repus. 

Patrick Grainville (Le Figaro, 1988)

 Ce roman voyage autour d'un centre, d'un arrêt sur image, d'une fixation primordiale : Angélique. Souvenir inventé ou réel de l'enfance bretonne de Robbe-Grillet, d'une petite voisine noyée, suicidée, ensanglantée. Sorcière adolescente, perverse et candide. Victime et vampirique, elle réapparaît à tous les tournants sous des travestissements divers. Balançant entre la passivité et l'activité, castratrice ou mutilée, Angélique vêtue d'une tunique transparente se débat, captive, palpitante, entre des soudards armés de fers. Elle a de longs cheveux, des membres exquis, une chair nacrée. C'est Junie sous le regard cruel de Néron, c'est sainte Blandine pure, empalée, c'est la jeune fille sacrifiée des vieux mythes analysés par Mircea Eliade. Tel serait le fantasme conducteur rayonnant dans tout le champ de l'œuvre. Angélique a subi ou va subir le viol. Robbe-Grillet se repaît de sa jouvencelle. Nous ne sommes plus dans l'aléatoire et l'anecdote. Cette vierge centrale est dûment ligotée au tympan du livre. Et vous verrez : la scène sanglante et finale est sublime.
Une surprenante atmosphère arthurienne baigne le roman, avec sa Brocéliande, ses enchantements, ses faux à double tranchant, ses messagers. La brume bretonne gomme, disjoint toutes les charnières du paysage, équivalent physique de la structure intermittente et fuyante du récit. Un non moins étrange personnage hante le narrateur, c'est Henri de Corinthe, soldat et prophète, chevalier noir, surhomme nietzschéen, hégélien, fasciné par la négation, tortionnaire sadien, ami, double et sauveteur du père du narrateur.
La force du roman tient à un mélange d'arbitraire et de nécessité. Robbe-Grillet, au premier degré, savoure avec emphase sa belle dénudée offerte aux lanciers, aux hordes de chiens et de dragons, mais un second degré, une ironie, une spontanéité ludique l'incitent à accuser le stéréotype à charger l'atmosphère infernale. C'est ce double jeu qui enchante, ce vertige entre autobiographie et fiction, cette délectation du fantasme à mi-chemin de l'épopée et du chromo. Les scènes sont noires, échevelés, brillantes comme un chaos d'armures et d'une magnifique précision, rythmées par d'envoûtantes redites incantatoires et couronnées par le colossal cauchemar anal et la castration finale.
À travers toutes ces facettes, Robbe-Grillet se raconte et se dépeint, barbu, bégayant, hyper-émotif, conférencier à New York, enfant fasciné par les supplices turcs et les gravures de l'lllustration, avalant des récits de guerre et des légendes de famille, jeune homme pétrifié à l'Opéra pendant l'Occupation devant une belle espionne évanouie dans un cliquetis de cristal brisé, barbon érigeant des tonnelles dans son jardin. Vierges et soldats gravitent sous sa plume et nous captivent (...).
Angélique est à mes yeux un chef-d'œuvre d'Alain Robbe-Grillet, dans sa somptueuse machinerie d'aveux, de fictions, d'ironies, d'horreurs ciselées et de fantasmes colossaux, polis dans une prose belle, sacrificielle comme l'éternelle jeune fille maculée de sang, comme la mort. 

 




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